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l’histoire des émotions

« Il faut apprendre à accueillir ses émotions. »
« Pleurer, c’est sain. »
« Les émotions ne sont ni bonnes ni mauvaises. »

Ces phrases, aujourd’hui largement acceptées, nous semblent presque évidentes. Mais elles ne sont pas universelles. Elles sont le fruit d’une époque, d’une culture… et d’un vocabulaire.

C’est ce que montre l’historienne britannique Tiffany Watt Smith dans L’Atlas des émotions humaines.
Selon elle, les mots que nous utilisons pour nommer nos émotions façonnent la manière dont nous les vivons.

Prenons un exemple : vous ressentez un tiraillement, entre le manque et la douceur. Vous dites “je suis triste” ? Et si c’était plutôt de la saudade, ce mot portugais intraduisible, mélange de nostalgie, d’amour, d’absence et de poésie ?
Le mot que vous choisissez oriente la lecture émotionnelle que fait votre cerveau. Et donc votre manière de réagir, de vous comporter, de vous souvenir.

On ne ressent pas qu’avec le cœur. On ressent avec les mots, les autres, et l’histoire. Et ça change pas mal de choses vous allez voir…

Anne & Charlotte, toutes émues de parler émotion

LA PENSÉE DU JOUR

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TEST & NOLD

L’émotion, une invention humaine


1. L’histoire des émotions

Au Moyen Âge : les émotions sont vécues comme des signes spirituels. La peur ? Un rappel de la toute-puissance divine. Elle est noble, car elle montre la conscience de sa propre petitesse face à Dieu. Les pleurs publics sont encouragés… mais dans un cadre religieux. On pleure lors des processions, ou pour expier ses péchés. C’est un acte public, codifié.

À la Renaissance : on commence à valoriser les passions individuelles. Mais elles doivent être maîtrisées : l’homme idéal est tempéré. On théâtralise les émotions dans l’art, mais on les discipline dans la vie.

XIXe siècle : les larmes deviennent une affaire de classe et de genre.
👉 Les femmes bourgeoises pleurent discrètement. C’est un signe de raffinement.
👉 Les hommes, eux, doivent contenir leurs émotions pour affirmer leur sérieux.

Dans la modernité (XXe – XXIe) : un double standard s’impose…
Un homme en colère ? Il “s’affirme”, il est “viril”.
Un homme qui pleure ? Fragile, voire suspect.
Une femme en colère ? “Hystérique”, “agressive”.
Une femme qui pleure ? Normal… mais parfois “trop sensible”.

Ce n’est pas vous qui êtes “trop” ou “pas assez” émotif. Ce sont les règles du jeu émotionnel qui ont changé avec le temps.

2. La géographie des émotions

En Angleterre : on connaît tous le fameux mantra aristocratique : « Never complain, never explain. » Ne pas se plaindre, ne pas se justifier.
👉 Montrer ses émotions, c’est manquer de dignité.
À l’école comme au travail, le self-control est valorisé. Les sentiments trop visibles sont perçus comme impolis, voire gênants. Une larme en public ? Malaise assuré.

Au Japon : l’harmonie du groupe (wa) prime sur l’expression individuelle.
Le honne (vrai ressenti) doit souvent être caché derrière un tatemae (façade sociale).
La colère en public est une perte de face.
La maîtrise de soi est une forme de respect collectif.
L’émotion japonaise Amae par exemple, n’existe pas chez nous. Elle décrit le plaisir de se laisser aller dans une dépendance affective douce, comme un enfant choyé par sa mère. En France, on valorise l’autonomie. “Dépendre affectivement de quelqu’un” est souvent mal vu. Nous n’avons pas de mot pour ce plaisir d’être vulnérable avec confiance.

En Amérique latine et autour de la Méditerranée : exprimer ses émotions fort (pleurs, cris, rires) est une preuve d’authenticité. Se contrôler trop ? On est vu comme froid, distant, peu sincère.

Bref, ce qui est “normal” dans une culture peut paraître déplacé dans une autre.

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Et concrètement, qu’est-ce que ça change ?

1. On déculpabilise.

Vos émotions ne sont ni des bugs, ni des failles.
Elles sont des langages façonnés par l’histoire, la culture, votre famille, votre genre.
👉 Ce n’est pas “vous” qui êtes trop sensible. C’est peut-être le monde autour qui ne comprend pas votre grammaire émotionnelle.

2. On enrichit notre vocabulaire émotionnel.

Plus on a de mots, plus on nuance, plus on comprend.
Essayez : remplacez “je suis stressé” par “je suis inquiet”, ou “je me sens dépassé”, ou “j’ai peur d’échouer”. Ce ne sont pas les mêmes solutions qui s’ouvrent.

Tiffany Watt Smith liste 150 émotions méconnues. En les découvrant, on développe une intelligence émotionnelle fine, précieuse pour soi… et pour les autres.

3. On prend conscience des filtres culturels.

Dire “je suis triste” à Tokyo, à Paris ou à Buenos Aires… ce n’est pas le même message.
👉 Avant de juger une réaction comme “exagérée” ou “froide”, demandez-vous : quelle est la norme émotionnelle en jeu ici ?

Cette conscience-là rend plus ouvert, tolérant, et précis dans nos relations.

4. On renforce le lien.

Pleurer ensemble, vibrer ensemble, ça crée de la co-présence.
Les émotions partagées sont des rituels collectifs puissants :
Une standing ovation au théâtre
Des larmes lors d’un discours
Des cris dans un stade
👉 Dans une société connectée mais souvent solitaire, ces moments d’émotion commune sont essentiels.

5. On fait le tri entre émotion et injonction.

Ressentir ne veut pas dire performer.
👉 Vous n’avez pas à “exprimer avec élégance”, ni à “positiver à tout prix”.
Le bonheur obligatoire, la vulnérabilité instagrammable, les larmes calibrées : tout ça, ce sont des scripts sociaux, pas des vérités.

6. On devient plus lucide, moins réactif.

“Pourquoi je me sens comme ça ?”
Ce petit pas de côté, ce moment de recul, c’est le début du pouvoir émotionnel.
Nommer, c’est déjà apaiser.
👉 Les mots ne servent pas qu’à dire. Ils servent à se comprendre.

POUR ALLER PLUS LOIN

Lire l’Atlas des émotions humaines, Tiffany Watt Smith (Autrement, 2016)

Ecouter le podcast – La fabrique des émotions (France Culture)

Nommer et décrypter les émotions

Vibrez au son de la Saudade en écoutant Sodade de Cesaria Evora