
Les années 60-70 ont mis les projecteurs sur la conquête spatiale. Armstrong sur la Lune, Kubrick dans l’espace. Mais aujourd’hui, les regards se tournent ailleurs. Moins loin, mais pas moins vertigineux : vers les abysses.
En 1989, un film nous happait dans les profondeurs de l’océan. “Abyss”, signé James Cameron, parlait d’extraterrestres, de tension géopolitique et d’amour, mais surtout, il filmait l’inconnu avec une intensité presque métaphysique. Culte chez les Nolds, ce chef-d’œuvre préfigurait quelque chose qu’on commence seulement à réaliser aujourd’hui : l’ultime frontière n’est peut-être pas là-haut, mais en bas.
Et ce n’est pas qu’un effet de mode. Depuis hier et jusqu’au 13 juin, Nice accueille la Conférence des Nations Unies sur l’Océan, avec au programme : climat, biodiversité… et l’épineux sujet de l’exploitation minière des fonds marins.
Saviez-vous que plus d’humains ont marché sur la Lune que plongé dans la fosse des Mariannes, l’endroit le plus profond de la planète ? Autrement dit, on s’apprête à exploiter une zone qu’on connaît moins bien que l’espace…
Anne et Charlotte, qui aiment parler aussi de sujets profonds.
LA PENSÉE DU JOUR

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TEST & NOLD
Les abysses, c’est quoi exactement ? Pourquoi en parle-t-on maintenant ?
On les imagine froides, hostiles et silencieuses. Mais les abysses sont tout sauf vides.
– 90 % des espèces qui y vivent n’ont encore jamais été répertoriées
– Certaines fabriquent leur propre lumière (bioluminescence), d’autres résistent à 1 100 bars de pression
– On y trouve des micro-organismes capables de digérer du pétrole ou de survivre sans oxygène, un Graal potentiel pour la médecine, la dépollution, ou même la recherche spatiale
– Sans parler des métaux rares : cobalt, lithium, nickel, cuivre… regroupés dans de petits cailloux au nom ultra sexy : les nodules polymétalliques
Autrement dit, les abysses sont un coffre au trésor… que l’on ne comprend pas encore.
Pour en avoir un bel aperçu, vous pouvez vous offrir le très beau livre de Claire Nouvian : Abysses aux Éditions Fayard, un livre assez exceptionnel, qui fait découvrir pour la première fois la vie jusqu’à 10 000 mètres de profondeur.
Quand on parle abysses, on ne parle pas ici de zones de pêches, mais d’une autre forme d’exploitation, minière cette fois-ci. Certains Etats et multinationales ont pour objectif d’industrialiser les grandes profondeurs pour y récolter les métaux qui alimentent notre « transition verte » (la transition verte, c’est ce virage écologique que nos sociétés tentent de prendre pour sortir des énergies fossiles (pétrole, charbon, gaz) et miser sur des sources plus propres, comme le solaire ou l’éolien — le tout en électrifiant nos usages : voitures, chauffage, industrie).
Décidément, on n’en est pas à une contradiction près et on ne cesse de creuser profond…

Quels sont les enjeux de l’exploitation minière en cours ?
🐠 Une destruction irréversible
Les fonds abyssaux se forment en milliers, voire millions d’années, une fois raclés ou perturbés, ils ne se régénèrent pas
On parle ici de machines qui raclent le sol à plusieurs milliers de mètres de profondeur, aspirant les nodules et rejetant des sédiments sur des kilomètres. Ces sédiments peuvent étouffer la faune environnante, perturber les signaux chimiques de certaines espèces et dérégler des écosystèmes qui ont évolué sans lumière, sans oxygène et dans un silence total.
🐠 Disparition d’espèces
Une étude menée en 2020 dans les eaux japonaises a révélé que près de la moitié des poissons et crustacés avaient disparu d’une zone test après une opération d’extraction minière expérimentale. Ce n’était pourtant qu’un test, sur une petite zone et de courte durée.
🐠 Une ignorance qui fait peur
En mai 2024, une étude scientifique a recensé 5 578 espèces benthiques dans la zone de Clarion-Clipperton, entre Hawaï et le Mexique. Les espèces « benthiques » vivent au fond des océans, au plus près du plancher marin.
La majorité de ces espèces étaient inconnues de la science. Autrement dit, nous nous apprêtons à bouleverser un monde que nous n’avons même pas encore découvert.
Claire Nouvian, biologiste et militante, alerte depuis 20 ans : “C’est comme si on bombardait une forêt qu’on n’a même pas encore cartographiée.”
🐠 Le cas Norvégien : le pays du fjord… et du forage ?
Le 9 janvier 2024, la Norvège, pourtant leader mondial sur la préservation des océans, a autorisé la prospection minière dans ses eaux profondes.
Le gouvernement norvégien a justifié cette décision par la volonté de sécuriser l’approvisionnement en minerais essentiels à la transition énergétique, comme le cuivre, le zinc ou les terres rares. Objectif : réduire sa dépendance à la Chine et conserver un leadership industriel dans les technologies vertes (batteries, éoliennes, etc.).
Mais cette décision a déclenché une opposition massive : plus de 900 chercheurs ont signé une tribune appelant à un moratoire, des ONG, des pays étrangers (dont la France) ont exprimé leur désaccord, le WWF a intenté une action en justice, contestant la validité de l’étude d’impact environnemental
Résultat ? Le gouvernement a suspendu l’octroi de nouveaux permis jusqu’à fin 2025.
Mais ce n’est qu’un report. La porte reste ouverte à une future exploitation.
🐠 Et du côté des États-Unis ?
En avril 2025, le président Donald Trump a signé un décret visant à accélérer l’exploitation minière en haute mer, dans les eaux américaines ET internationales.
Ce décret ordonne aux agences fédérales d’accélérer le processus d’examen et de délivrance des permis pour l’exploitation minière des fonds marins, en s’appuyant sur la loi américaine de 1980 sur les ressources minérales du fond marin.
Les États-Unis n’ayant pas ratifié la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, ils ne sont pas membres de l’AIFM (l’Autorité internationale des fonds marins (AIFM), l’organisme des Nations Unies chargé de réglementer l’exploitation minière en haute mer), ce qui complique leur participation aux négociations internationales sur la réglementation de l’exploitation minière en haute mer.
🐠 Bref, tout cela pose une série de questions :
Peut-on défendre la transition verte en détruisant la biodiversité marine ?
Qui décide de ce qui peut être exploité… dans un espace commun à l’humanité ?
Le rêve techno-industriel justifie-t-il de saccager ce que l’on ne comprend pas encore ?

POUR ALLER PLUS LOIN

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2 Comments.
Vos articles sont toujours très intéressants et bien écrits. J aime beaucoup vous lire.
En tant que Nold, je m’attendais à voir l’album d’Éric Serra, bande originale du Grand Bleu… 😉