
À la rentrée, quand on était enfants, il y avait deux certitudes : on aurait de nouveaux cahiers, et on finirait par se gratter la tête. Les poux faisaient partie de la rentrée comme la colle Cléopâtre sentait l’amande.
Pour nous, cette époque est révolue, mais le grattage, lui, est resté. Gratter un bouton de moustique, une piqûre, une croûte, une démangeaison mystérieuse… geste interdit mais irrésistible sur lequel notre attention se porte aujourd’hui.
On nous a toujours dit que se gratter, c’était mal, que ça empirait les choses. Et c’est vrai… en partie. Mais une étude publiée dans Science début 2025 (de la plus haute importance, vous en conviendrez ;-)) vient tout chambouler : se gratter aggrave l’inflammation, oui, mais… ça renforce aussi nos défenses contre certaines bactéries de la peau, comme le staphylocoque doré.
Bref, notre corps a peut-être de bonnes raisons de nous faire aimer ce geste pourtant coupable.
Anne et Charlotte, sérieusement démangées par le sujet
TEST & NOLD
LE GRATTAGE : DU CERCLE VICIEUX AU PLAISIR ANCESTRAL
Le prurit, ce joli mot médical pour dire « envie de se gratter », est un réflexe aussi vieux que nous. Lorsqu’un allergène ou un agent infectieux irrite notre peau, des cellules immunitaires (les mastocytes) déclenchent la sensation de démangeaison. On gratte. Et là, le simple frottement active des neurones spécialisés qui libèrent une substance qui relance et amplifie la réaction des mastocytes. Résultat : encore plus d’inflammation, encore plus d’envie de se gratter.
C’est un peu comme si votre peau avait une mémoire tactile : même après disparition de la cause, elle « se souvient » et vous envoie encore des signaux fantômes de démangeaison. D’où cette impression de gratter… un souvenir.
Les philosophes avaient flairé le piège bien avant la science. Dans Le Gorgias, Socrate se moque gentiment de Calliclès en le poussant dans ses retranchements : si le bonheur, c’est de satisfaire tous ses désirs, alors pourquoi ne pas passer sa vie à se gratter dès que cela nous démange ? Il compare ce comportement à un tonneau percé qu’on essaie de remplir en vain : un plaisir qui ne mène jamais à la satiété, juste à la répétition.
Et Socrate n’est pas le seul à voir dans le grattage une métaphore de l’illusion. Les stoïciens y auraient vu l’exemple parfait de ce qu’ils appelaient les « désirs sans fin » — ces envies qui, une fois satisfaites, renaissent aussitôt, laissant l’âme en perpétuelle agitation. Schopenhauer, lui, aurait sans doute classé le grattage dans la catégorie des « plaisirs négatifs » : non pas la joie d’obtenir quelque chose, mais le simple soulagement de faire disparaître un manque ou une gêne… avant que celui-ci ne revienne.
Ce qu’aucun d’eux ne pouvait imaginer, c’est que ce tonneau percé pouvait aussi, paradoxalement, nous défendre contre certaines bactéries en déclenchant une réponse immunitaire renforcée. Autrement dit, que ce geste si futile pouvait être, dans certains cas, une stratégie de survie héritée de millions d’années d’évolution.

JUST NOLD IT
LES AUTRES VISAGES DU GRATTAGE
Un geste… social :
Ce n’est pas juste un plaisir solitaire : le grattage est contagieux. Vous voyez quelqu’un se gratter, et voilà que ça vous démange. Ce n’est pas de la magie noire, mais une forme primitive d’empathie. Des chercheurs chinois ont montré que chez les souris, voir un congénère se gratter active dans le cerveau des neurones… liés aussi à la faim, à la soif et au désir sexuel. Un club très sélect pour une envie si banale. Et plus les souris sont proches, plus l’effet est fort : se gratter, c’est aussi se synchroniser avec ceux qu’on aime.
Un trouble étonnamment répandu :
Saviez-vous qu’il existe une forme extrême appelée dermatillomanie ? Les personnes qui en souffrent se grattent, se triturent la peau jusqu’à se blesser, parfois plusieurs heures par jour, souvent pour évacuer stress ou anxiété. Ce n’est pas rare : on estime qu’entre 1 et 5 % de la population en souffre, parfois sans le savoir, et ça peut concerner toutes les tranches d’âge.
Alors… gratter ou not gratter ?
C’est ici que la science tranche :
On peut se gratter sans risque si c’est une piqûre de moustique ou une démangeaison ponctuelle et qu’on ne gratte pas jusqu’à abîmer la peau. Le geste active la défense locale contre les bactéries et, soyons honnêtes, ça soulage vraiment.
On évite absolument de gratter si c’est de l’eczéma, du psoriasis, ou une plaie : là, l’inflammation est déjà maximale, et le grattage risque d’aggraver la lésion, de provoquer une infection ou de retarder la cicatrisation.
Astuce utile : si ça vous démange mais que vous ne devez pas gratter, exercez une pression ferme avec la paume de la main ou tapotez légèrement la zone : ça trompe un peu le cerveau sans abîmer la peau.

POUR ALLER PLUS LOIN

Regarder la pub Spontex de 1985 pour la gratounette, l’éponge qui gratte longtemps

Regarder un passage mythique des Simpsons avec la fourchette à se gratter le c…
3 Comments.
Hello ! Super intéressant ! Comme toujours ! Et si l’on veut être tout à fait corrects, on doit donc dire « Elle se gratte le cuir chevelu » (ou la tête) et non pas » Elle se gratte les cheveux » N’est ce pas ? 😉
Sujet inattendu bien bien sympa….bonne 💡
Sujet sur lequel je ne me serais jamais penché, ou gratté ; ) mais finalement très intéressant ! Merci pour toutes ces informations.